- Q1: J’aimerais commencer par la première question: qu’est ce c’est la masculinité dans un islam inclusif?
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- R1: Un islam inclusif, déjà par définition, enfin quand vous entendez la plupart des musulmans, ils vous disent que l’islam c’est la pais, c’est l’inclusivité universelle, sauf que dans les faits, il y a beaucoup de discrimination qui sont perpétrées aujourd’hui au nom de l’islam, de la modernité, de la laicité, on a du mal à s’y retrouver. Donc nous, on rappelle que la masculinité est une construction sociale, au sens d’une idée, d’une représentation de qu’est un homme, de ce qu’est une femme aussi, les deux ne se recoupent pas forcèment. Et on a trop tendance, non seulement à associer la masculinité toute puissante, patriarcale, à l’identité islamique et à l’identité arabo-musulmane au sens large, et je pense que d’un point de vue théologique, culturelle et historique, c’est un contresens, c’est pas une réalité.
- Q2: Ludovic Zahed, je voudrais vous poser une question par rapport aux masculinités. Est ce que l’islam inclusif aujourd’hui est capable de construire et former un homme musulman positif?
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- R2: L’islam en tant que tel n’existe pas. Comme le dit ma collègue Dounia Bouzar, une anthropologue d’origine nord-africaine en France, l’islam c’est les musulmans et les musulmane, il ne tient qu’à nous, d’être positifs et inclusifs dans le lien qu’on établit à ce qu’on appelle l’isla, en tant que culture, en tant que religion.Ce qui a à avoir avec les pratiques spirituelles, pour moi, ce n’est qu’un chemin, la Chariaa n’est pas une dogmatique facsiste totalitaire, là aussi contrairement à ce que la plupart des gens pensent, mais les arabes savent bien que Chariaa c’est la voie spirituelle, le chemin sur lequel il faut progresser. Cela est universel, dans différentes cultures, vous avez des prophètes, des théologiens, des femmes engagées, des poètes, qui parlent de ce chemin, de cette voie sur laquelle chaque être humain est placé. Victor Hugo disait “Chaque homme dans sa nuit s’en va vers sa lumière”, je pense que c’est cette représentation positive, émancipatrice et pragmatique de l’islam qu’on doit construire, aussi bien quand on est un homme, ou quand on se définit comme non binaire, ou peu importe. Le fait est que il faut toujours avoir cette perspective là, la perspective que c’est nous qui construisons nos identités, qu’elles soient masculines ou autres, et c’est nous qui construisons au quotidien, et de manière renouvelée, une génération après l’autre, et donc notre rapport à l’islam qui est comme tout autre élément culturel, vivant, qui respire, qui doit s’abrever et s’inspirer de ce qui est autour de nous. Sinon l’islam finira par, tout simplement, disparaitre. Quand une culture, une civilisation, une philosophie de vie, une religion, en l’occurrence, ne répondent plus aux attentes de survie, mais aussi d’émancipation, intellectuelle, économique et spirituelle des individus concernés, cette culture disparaît tout simplement.
- Q3: Ludovic Zahed, j’aimerais vous poser une question sur le prophète de l’islam Mohamed, quel type d’homme était-il?
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- R3: Très bonne question! Moi je n’était pas vivant il y a 14 siècles, mais il semblerait, selon les traditions qui nous ont été rapportées depuis, ce sont des faits historiques à prendre avec précaution, et le fait est que l’immense majorité des traditions qui nous sont parvenues jusqu’à aujourd’hui qui nous racontent la façon dont le prophète se comportait en tant qu’homme, en tant que leader, à la fois religieux et politique, parce que à l’époque, la séparation des pouvoirs n’existait pas, donc ces traditions nous rapportent l’image de quelqu’un qui était ouvert, plus que tolérant, qui était inclusif, qui accueillait chez lui des femmes incriminées, des personnes transidentitaires violentées et les hébergeaient parmis sa femme est ses enfants. Alors je pense que c’est toujours possible, qu’est ce qu’on dira de nous dans 100 ans, dans 1000 ans? Est ce qu’on dira absolument rien de nous? et il y aura certainement des gens qui vont nous critiquer. Donc à force théorique, quand vous êtes dans la position de la prophétie, il y a des gens qui vous critiquent, et c’est tout à fait naturel, et même souhaitable, il faut douter et il faut critiquer. Et le fait est que l’immense majorité des sources qu’on a en la matière nous font état d’un homme qui avait un rapport très apaisé à sa masculinité, qui n’était pas dans une masculinité toute puissante, facsiste, totalitaire, violente, qui n’imposent pas sa masculinité aux autres et qui ne jugeait pas les autres en fonction de leur genre, sexualité et même de leur religion.
- Q4: Le statut des femmes en Islam est très discuté, donc quelle place occupe la femme en Islam? Et Il y a aussi la place de l’homme, donc cette image de l’homme qui se marrie beaucoup, cette image de l’homme guerrier, cette image de l’homme dominant , comment peut-on aujourd’hui sortir de ces stéréotypes ou de ces clichés liés à l’image de l’homme musulman?
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- R4: C’est une question importante, parce que effectivement, on a eu le même kit de réflexions, peut être plus avance, parce que les société “en occident”, ont dû réformer leurs institutions, leurs représentations identitaires, leur lien au mariage, à l’affiliation, à la masculinité plus rapidement que dans le monde arabo-musulman. Mais le fait est que, ces questionnements sont, de mon point de vue, universels, surtout dans des sociétés globales ou en tout cas mondialisées, on se pose la question de, alors si la masculinité n’est pas toute puissante, patriarcale et dans le leadership, par quoi est ce qu’on peut la remplacer? Effectivement, je pense qu’on ne parle pas assez du fait que les hommes arabo-musulmans, berbères, moyen-orientaux, africains en général aussi, sont confrontés à ce dilemme, qui d’une part, les poussent à être dans ce leadership, avec des tendance, bien évidemment aujourd’hui perçues comme fascistes, totalitaires, autocratiques, et de l’autre côté on les enjoint, quand on ne les force pas tout simplement, à renier des représentations culturelles qu’ils ont ont hérité et qui ont contribué à structurer leur personnalité et leur vie au quotidien. Je pense que cette transition vers cette masculinité positive et inclusive, ces transitions ont lieu à l’heure actuelle, il ne faut pas se décourager, et il ne faut pas non plus discriminer les cultures non-occidentales, on a peu tendance à le faire, surtout en europe et en amérique du nord. Mais le fait est que ces mutations ont lieu, et chacun a son rythme, et le fait est que, la colonisation bien évidemment, les effets des représentations et des dynamiques politiques post-coloniales n’ont pas aidé en la matière, contrairement à ce qu’on pourrait croire. Je pense qu’il y a eu une forme de résistance dans certaines sociétés, notamment les sociétés arabo-musulmanes, africaines, indiennes… on voit que le nationalisme en occident, mais aussi, dans les sociétés postcoloniales, les nationalismes, la virilité nationale, les masculinités toutes puissantes, et une forme de recrudescence de ce point de vue là. Et aussi parce que les dynamiques postcoloniales vont quelque part enfermer les hommes arabo-musulmans dans un choix impossible, entre une masculinité toute puissante perçue comme traditionnelle à tort, comme je disais toute à l’heure, et une forme d’identité diffuse et fluide, mais pas dans le bon sens du terme, et totalement assimilée à une soi disant une culture globale, non genrée, non diversifiée, non sexuée, uniformisée et capitaliste, à des fins mercantiles. Donc je pense que ça va être compliqué, mais c’est tout à fait possible, et c’est en cours, et ça n’a pas lieu que dans le monde dit arabo-musulman, c’est pas que chez nous qu’il y a des problèmes avec la masculinité toute puissante du patriarcat et le dogmatisme viriliste.
- Q5: Dans le résultat, que ce soit dans les sociétés arabo-musulmanes ou dans les communautés musulmanes un peu partout dans le monde, le résultat est que l’image de l’homme est strictement liée à cette image d’hétéronormativité et à l’homme unique ou singulier. Comment peut-on réconcilier diversité sexuelle et pluralité du genre avec les musulmans?
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- R5: C’est vraiment à la fois très simple et très compliqué, c’est Einstein qui disait qu’il est plus facile de briser un atome que de briser un préjugé. Et forcément parce que ça dépend de la volonté de la personne, c’est lié aussi avec des peurs ataviques, la peur de la disparition, de la colonisation, de la domination, et c’est ça qui fait que ces identités ont ré-émergées, ont été renforcées, elles ont toujour existé. Et disons que dans le monde arabo-musulman, il suffit de voir les textes de littérature, les textes historiques et les textes théologiques aussi en la matière, pour voir que jusqu’au 18ème ou 19ème siècle, on parlait de fluidité du genre, y compris d’un point de vue philosophique, en se référant à Aristote, à Platon, et aux autres philosophes antiques. Et ce lien entre masculinité et féminité, yin et yang, existait dans toutes les cultures. Et je pense que aussi en occident, ce n’était pas le cas avant, à l’époque moderne, on a commencé à catégoriser les individus en fonction de caractéristiques individuelles, religieuses, etc, et c’est à ce moment là, au 19ème siècle, qu’on a inventé le terme homosexualité et ensuite, plusieurs années plus tard , le terme hétérosexualité, finalement, c’est l’étude de la minorité là encore, qui a introduit des représentations au grand publique en matière de hétéronrmativité et de masculinité toute puissante. Donc, nos deux histoires des deux côtés de la méditerranée sont liées depuis des siècles, on vient que l’influence de la modernité en Europe et ensuite l’exportation de ses représentations catégoriques, performatives, à travers des publications, à travers la colonisation, intellectuelle et ensuite politique et militaire, ont eu des répercussions très négatives dont ont subit encore le coût sur les sociétés dites arabo-musulmanes, africaines, indiennes, moyen-orientales. Cela n’était pas le cas avant dans les textes arabo-musulmans où on parlait beaucoup de transidentités, d’homosexualité, en tout cas d’homoérotisme et de sexualité des femmes. A partir du 19ème, et 20ème siècle, par exemple au caire, on a publié “les milles et une nuit” censurée de tout ce qui est relatif à l’homosexualité, la sexualité des femmes. Sur la question de la masculinité en tant que telle, on voit les premiers colons au 18ème et 19ème siècle décrire les indigènes de l’afrique du nord, comme on les appelait à l’époque comme des hommes indolents, faibles, efféminés. Je fais souvent ça en conférence, je demande aux gens de fermer les yeux et d’imaginer un homme arabo-musulman typique, ils imaginent plutôt un barbu, un peu violent, un peu rustre, pas du tout quelqu’un d’efféminé, d’indolent. Donc ces représentations-là, en ce qui nous concerne, et comment les gens représentent nos identités, ça a beaucoup changé en 150 ou 200 ans, plus ou moins. Encore une fois, il ne tient qu’à nous de revenir sur ce qui a été élaboré au 20ème siècle en terme de nationalisme, d’homophobie d’état, d’antisémitisme dans nos sociétés dites arab-musulmanes et de revenir aux sources pour mieux se réaproprier, et réinventer, parce qu’on ne pourra pas revenir en arrière et ce n’est pas le but, mais réinventer, comme le font toute les cultures qui perdurent de manière positive et émancipatrice, égalitaire et universelle, sans préjugés, sans phobies, sans haine, sans discriminations, nos identités sur des bases plus pragmatiques et plus égalitaires, plus inclusives.
- Q6: Ludovic Zahed, j’ai une dernière question à vous poser, par rapport aux hommes du futur. Comment imaginez-vous les hommes du futur?
- R6: Ah! Extraordinaire! J’adore la science-fiction… je suis un grand fan de Frank Herbert et d’autres livres comme ça, ces auteurs, non seulement nous parlent de vaisseaux spatiaux, d’explorations d’autres planètes… mais les auteurs qui me plaisent le plus c’est ceux qui ont des réflexions philosophiques voire spirituelles pour la façon dont l’humanité se représentera ses propres identités à l’avenir. Je pense qu’il ne faut pas idéaliser le futur, les avancées technologiques n’effaceront pas les inégalités socio-économiques qui sont à misère la base de la discrimantion, de la fascisation des identités et de l’émergence majoritaire des identités masculines toute puissantes, comme défendre la nation, le groupe, la communauté… peu importe. Et donc pour couper l’herbe sous le pied de ces dynamiques fascistes, totalitaires et masculinistes, à l’avenir il va falloir essayer d’imposer, ou de s’imposer à soi ou aux autres, la démocratie, l’égalité, les droits pour les minorités, etc, il faudra alors commencer par soi, et commencer par regarder en nous, qu’est ce qu’on peut changer et l’exemple qu’on peut donner aux générations futures, encore une fois en revenant aux sources de nos cultures, de nos inspirations philosophiques et spirituelles, plutôt que d’être dans la fuite en avant et dans la construction de nos identités littéralement sur le dos des minorités comme le font quasiment toutes les sociétés, c’est pas que les sociétés dites arabo-musulmanes, toutes les sociétés en crise commencent à discriminer les minorités, religieuses, sexuelles, de genre, linguistiques parfois, en algérie par exemple on interdit de parler le kabyle. Donc je pense qu’à l’avenir, il ne tient qu’à nous encore une fois, de le construire de manière plus égalitaire, dans le partage, et le dialogue, plutôt que dans l’opposition. C’est plus compliqué qu’il ne le paraît, c’est pour ça qu’il faut travailler avec des gens comme vous qui permettent de visibiliser ces réflexions auprès du grand public.