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Il, elle… mes masculinités 

Par : Ayyur.

Je suis un artiste marocain et journaliste spécialisé des questions de genre au Maghreb et Moyen Orient. Aussi passionné de poésie et de musique, j’écris tous mes textes la nuit ce qui m’a valu le surnom de Ayyur, la lune

« Khrej, chefti ? » Il sort, tu as vu ? Des gens passent, les rues sont bondées, partout les allées et venues des hommes. Moi aussi je me sens noyé, regardé, scruté. Mon pantalon est pourtant bleu marine, mon polo rouge, ma démarche cadrée et mon regard nerveux. Tout faire pour ressembler à la masse. Surtout ne pas se faire remarquer, ne pas sortir par cette des rangs, tracés par ses hommes qui m’ont fait tant de mal. Faire semblant d’avoir le regard assuré, travailler sa voix grave, ne pas parler avec les mains, paraître calme et serein…paraître Homme. Ne donner à personne de remettre en cause ma masculinité. Malgré l’existence de ce caractère féminin, comme cette joue creusée par le sillage de mes larmes quand je n’ose pas exploser de fureur. Quand je suis énervé ou que je sens le regard appuyé et réprobateur des hommes sur mes tenues colorées. Pas assez discret, pas assez noyé dans masse des hommes pour être homme. Trop effronté pour être l’homme « timide et sage ». Pas assez fourbe pour être l’homme « qui sait ce qu’il veut ». Ma masculinité n’est pas assez et, pourtant, déjà trop.

#2 : Tard le soir

#1 : Khrej (le tapin)

00:12. Je me relève, les yeux exorbités et rouge. Je remonte mon pantalon comme je peux : ma main est écorchée, ensanglanté par les grilles contre lesquelles on m’avait poussé.

00:13. Je fais quoi ? Je pars, je reviens ? Je les retrouve et les frappe, les massacres ?

00 :13. Je ne peux rien faire. Je ne peux rien raconter aux policiers. Il faut se taire. Il faut que je marche, droit, assurément. Où est mon mouchoir ? Je le glisse entre mes fesses, il ressort tacheter : blanc et rouge. Je m’évanouis un moment.

00:15. Ils diront que je suis une tapette, il diront que je suis un fou. Ils diront que je le méritais et que de toute façon ça devait arriver avec mon jean serré, mes couleurs affriolantes et ma voix forte.

00:16. Un homme se fait-il violer ? Quelle masculinité a-t-elle tuée l’autre ? Je marche, je ne dis rien. Je rentre chez moi, me douche, m’allonge. Le silence

01:34. Un homme ne se fait pas violer. Une femme si, un homme non.

01:38. Mon téléphone vibre, message inconnu « tu es remis sur le droit chemin ».

01:49.  Un moment, je n’étais donc plus un homme, j’étais une femme pendant le viol. Pour redevenir homme qui souffre, une fois tout cela terminé.

01:59. C’est ça même qu’ils voulaient. Tuer la femme qui était en moi ?

07:30. « Allez, tu vas être en retard, la troisième c’est du boulot » !

07:31. Elle n’est pas morte. Elle vivra et, eux, verront.

#3 : Épilogue

« Je ne sortirai plus ». Je le disais, le répétais silencieusement à chaque proposition qu’on me faisait et, pourtant, je sortais encore. Courir, marcher, découvrir. Je m’étais installé au café, ils étaient là. Ils ne m’avaient pas reconnu, moi si. Je ne dis rien.  Pour qu’une masculinité existe, elle doit en abattre une autre, pour qu’une autre subsiste, elle doit éviter toute faute.  

Je sors aujourd’hui. Ma masculinité à moi est différente. Elle est belle, elle scintille à la lumière. Parfois, elle aime les paillettes sur les yeux. Parfois, elle aime le look militaire quand elle se lève le matin. Mais elle s’accepte, car elle s’aime. Ma masculinité s’aime, je l’aime.

Je sors aujourd’hui. Elle a du succès, elle drague, elle chante, elle crie, elle embrasse et fait l’amour. Elle fait ça bien parce qu’elle s’aime.

Et c’est un monde triste que celui de celles qui se défient, se nient, inhibent l’autre, s’oublient ou jamais ne sourient.  Mes masculinités vous tendent les bras car c’est en faisant cela, que l’on sait qu’elles ne vous blesseront pas.

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