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Le Kid avec les dents branlantes
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Le Kid avec les dents branlantes 

Par Hicham Lasri

Un jour comme un autre, je suis en vadrouille entrainé par mes enfants, mi-coquins, mi-turbulents, ils s’accrochent à leurs requins gonflés à l’hélium, vision surréaliste et amusante pour les spectateurs des terrasses de café tartinées d’une population extenuée par la chaleur et la cacophonie. On sort du cours de la ville et de sa cacophonie pour embêter le client d’un Vagina Ice qui pue le couscous. Ah, c’est vendredi. Couscous, le Vendredi, R’fissa, le mercredi, brunch le week-end. Conformisme. CacaPipitalisme. Mon fils est en train de perdre ses dents de lait, un peu de glace soulage ses gencives. On fait le souk dans le café, et on mange des frites imbibées de glace. Mes kids pigent déjà le sens de la déréalisation et de la transversalité. Bien éduqués, mais turbulents, ils cherchent des noises aux client(e)s assoupi(e)s et aux traits en berne. Ils ont compris que rien n’est plus fragile qu’un homme qui croule sous le poids de l’inconfort, le visage spaghettifié par la gravité et le gravitas. On monte d’une octave pour commander le café, mais on descend de deux étages vers la zombification. Et mes enfants, dans un moment de cruauté enfantine terrible savent se jouer de ce genre de personnage à l’étroit dans son monde, incapable de supporter les décibels enrichis au bonheur des enfants. Je les laisse harceler les grincheux le temps que la commande arrive. Les requins à l’hélium sont coincés contre le plafond. Toujours surréalistes, toujours vivifiant. Mon fils ne cesse de se toucher les dents du devant en retardant ce moment fatidique où elles vont tomber et se trouve bientôt face à un dilemme cornélien : comment manger des frites. Ma fille lance, entre deux frites à la glace que la Petite Souris n’existe pas, ni la Fée Des Dents ce qui m’étonne. Moi qui avais peur de lui dire que le Père Noël est une manœuvre CacaPipitalistique aussi. Ma fille n’est pas sotte, même si elle ne croit pas au Père Noel, elle aime les cadeaux, donc elle fait semblant en faisant un pouce vers le haut. Cette lucidité me scie, avant de devoir résoudre la crise diplomatique de mon fils qui explose son ballon requin et commence à pleurer avant de décider d’arnaquer sa sœur. Maline, elle le laisse faire le temps de terminer sa glace aux frites. On mange des frites avec de la glace, on crève un requin. On laisse échapper tout l’hélium dans le Vagina Ice. Big Laugh, on descend encore plus d’octaves vers une voix de crécelle. Dégringolade. Ma fille admire encore mes longs cheveux, et menace qu’elle aura bientôt des cheveux plus longs. Je dépose les enfants à la maison au milieu des embrassades et des déclarations. Mon t-shirt Black Sabbath est maculé de glace Schtroumpf, on se fait un selfie que je ne partagerais, jamais, jamais sur aucun réseau social. Décence Orwellienne. La Pulsion Scopique est un Léviathan que je refuse de nourrir. Quant au panoptique, ce que j’en pense est Parental Advisory Lyrics.  Je suis un exhibitionniste, pas un pornographe. Je retrouve ma Bécane garée plus loin. Quelle belle journée. Avant d’enfiler mon casque, je me remplis les oreilles de mes écouteurs et de musique. Sevdaliza qui chante Human : I am, I have. Quand je lève les yeux, je vois arriver la marée des prieurs du vendredi. Une population crispée, qui surnage dans cette autosuffisance étrange qu’affichent ceux qui ne ratent jamais une prière. Santé. Cul Sec. Dans mes oreilles, Sevdaliza est une bande sonore miraculeuse : And in front of my judgmental eyes, My precious disguise. Les prieurs me font le coup du regard au coin. Mon Allah, un homme avec des cheveux longs. Ils désapprouvent mes cheveux longs. Clairement. Gratuitement. Sevdaliza Laisse passer des notes graves, technoïdes. Voilà, je fais face à tous ces mecs bedonnants, aux barbes taillées avec un soin maniaque, portant des tapis de prière, remplis de cette satisfaction d’avoir fait le meilleur investissement possible, assurant cette place au Paradis pour boire du vin et reluquer des clones de Sharon Tate. Les plus jeunes sont plus désapprobateurs que les vieux. I’ve only been here one time, It’s passing me by. Malgré moi, je me retrouve à refuser d’être jugé par des gens que je ne juge pas. Je lance un sourire qui se perd dans la foule. Comme chaque vendredi, les mosquées dégueulent ces prieurs, ces puritains, ces pieux, ces purs, ces jeteurs de blâmes. Mon Allah ! un homme avec des cheveux longs et une boucle d’oreille. Nothing more than human. Je brandis un autre sourire, je l’accroche au coin de ma bouche pour ne pas le perdre cette fois. Si j’avais le temps, j’aurais pu sentir une terrible violence, celle des regards désapprobateurs, mais aussi des regards faux-fuyants quand ils comprennent que je les dévisage frontalement, que je ne me laisse pas intimider. Je fais claquer mon sourire amusé qui fait face à mes juges. Jeter le blâme est une discipline moins noble que le lancer de javelot. Nothing more than human. Un homme avec des cheveux longs. Mon Allah ! Hérésie ! On me jette cet anathème gratuit moi qui déteste les buffets à volonté et les cartes de fidélité. On me juge, on me bouscule des yeux, mais comme je suis sportif, je ne bouge pas et la marée finit par se tarir en faisant pschiiiit ! Et chacun part se remplir le bide du couscous rituel du Vendredi. Beaucoup de rituels et peu de foi. Nothing more than human

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