Par Asmaa Guedira
J’ai découvert la notion de masculinité lorsque j’ai rencontré Anthony Kaadi à Beyrouth en 2016. Je gérais un programme de lutte contre les discriminations de genre et promotion des droits des femmes dans la région MENA avec la fondation Womanity. Anthony travaillait pour l’ONG libanaise féministe Abaad sur un programme intitulé RA (pour ‘rajoul) en collaboration avec l’ONG brésilienne – américaine Promundo. Le programme montrait aux collégiens libanais comment se détacher des stéréotypes masculins toxiques en exprimant leurs émotions et leur vulnérabilité. Anthony était membre d’un gang dans sa jeunesse, et a complètement changé de vie pour devenir psychologue: « Lorsqu’un homme remet en question son recours à la violence (sous quelque forme que ce soit – physique, verbale, émotionnelle ou économique), c’est la preuve que les gens peuvent changer. Si les gens peuvent changer, et s’ils sont suffisamment nombreux à le faire, alors les sociétés peuvent changer. »
Je travaille aujourd’hui pour l’ONG féministe australienne WELA qui promeut une justice climatique et intersectionnelle via des programmes de leadership féminin. Parler de leadership féminin apporte certes une nouvelle perspective aux dynamiques de genres, mais pour moi ces raisonnements doivent être poussés plus loin. Nous manquons de mots pour décrire l’ensemble des valeurs que nous attribuons à la « fémininité » ou “masculinité”, et qui ne sont pas liées aux attentes construites autour des comportements des femmes ou des hommes. Il s’agit d’honorer les polarités de genre en évitant la vision binaire et segmentée adoptée pour parler de masculinité et féminité.
« De nouvelles stratégies sont en train d’émerger ou de se rappeler à nous – beaucoup décriraient cela comme un passage d’un leadership masculin à un leadership féminin (ou patriarcal à féministe). Je pense qu’il s’agit aussi de quelque chose qui va au-delà de tous nos binaires – et évolue en relation avec notre tendance hiérarchique”, Adrienne
Maree Brown.
La masculinité toxique n’est pas qu’une affaire d’hommes. C’est un système de valeurs transmis par l’ensemble de la société. Une société qui place le narcissisme et le concept de domination et de supériorité au centre des interactions sociales. Ce système produit des hommes coupés de leurs émotions, de leur empathie et sensibilité, qui placent le “je” au-dessus du “nous”. La poursuite de l’accomplissement guidé par l’égo au détriment du collectif est à la source de cette toxicité qui pervertit les hommes de notre société et les femmes qui essaient de leur ressembler. Le fameux patriarcat. Les cultures aborigènes en Australie ont développé tout un système de valeurs, rituels et cérémonies où l’humain est une créature en harmonie avec son environnement, animaux, végétaux et monde spirituel compris. Les comportements toxiques et la violence sont reconnus, prévus et punis par le collectif. Mais contrairement à notre modèle de prison contemporain, le bourreau qui inflige la punition doit ensuite soigner le criminel puni chez lui jusqu’à ce qu’il soit guéri. A l’issue de quoi tout est oublié.
Ces histoires m’ont été transmises par des « anciens » que je me dois de reconnaître, nommer et remercier pour m’avoir confié leur savoir: Dr. Anne Poellina, Aunty Gabby Gamble, Tyson Yunkaporta et Kyle Slabb. C’est par le conte que se transmettent les traditions et valeurs structurantes des sociétés premières dont nous avons tant à apprendre. Des sociétés matriarcales, comme nos cultures ancestrales au Maroc et en Afrique du Nord où subsistent ces valeurs d’inclusion, du collectif, du respect de la nature et du monde spirituel, que l’on retrouve encore parmi les Amazigh et Sahraouis. La transmission orale d’histoires ancrées dans l’environnement assure le respect de toute femme comme mère nourricière et du bien être du collectif, tout en reconnaissant les comportements narcissiques et dérives égocentriques, pour mieux les contenir. Au-delà du concept binaire de genre, les cultures ancestrales ont toujours reconnu l’existence des « two spirits » des personnes avant à la fois l’esprit “féminin et masculin” et pour qui l’expression de ces deux énergies est assumée. Ceux que l’on nomme « trans » dans nos sociétés contemporaines étaient des personnes vénérées pour leur accès au monde spirituel et leur expression unique et complète des énergies vitales sur lesquelles repose le monde.
Ying yang ou masculinité féminité, sont les polarités sur lesquelles repose l’équilibre du monde. Nous sommes responsables de transmettre les histoires qui reconnaissent la coexistence harmonieuse de ces polarités. Qui placent l’intelligence émotionnelle, la célébration de la différence, l’inclusion, le « care » et la collaboration au centre des comportements valorisés par nos sociétés. A l’opposé des comportements où hiérarchie, contrôle et domination tissent les liens sociaux du système patriarcal. Je vis aujourd’hui à Byron Bay des milliers de kilomètres de tous les gens que j’aime, dans une région – bulle où la nature est protégée, ou les aborigènes commencent à être écoutés et respectés, qui est aussi le berceau hippie et l’épicentre queer de l’Australie, un pays pourtant toujours dominé par les rapports de colonisation et profondément patriarcal, où les leaders politiques sont la personnification même du patriarcat. Je suis convaincue que nous devons connecter et multiplier les différentes bulles de libre expression entre elles pour s’assurer qu’elles prennent le dessus. Il me semble que le podcast Machi Roujoula, en créant des espaces d’échange et de réflexion pour déconstruire les concepts de masculinité toxique agit comme ces espace de conte pour tisser une évolution positive de notre société.
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