Subscribe Now
Trending News
Les 50 nuances de la Rojola
Blog

Les 50 nuances de la Rojola 

La construction de genre masculine est diverse. Selon par exemple si sa situation sociale, aisée ou difficile, va asseoir ou au contraire rabaisser sa position, l’exposer aux humiliations d’autres hommes ou pas. Selon la configuration familiale, le statut qu’il doit incarner, quelle responsabilité il porte au sein de sa famille, s’il s’est vu assigné le rôle du protecteur, du père, de l’aîné, de l’enfant gâté. S’il est caractéristique d’une masculinité hégémonique ou alternative, ne correspondant pas aux stéréotypes classiques. S’il fait partie de telle minorité ethnique, qui implique négrophobie, antisémitisme ou autres stigmatisations. Si la somme de ces situations le renforce ou le marginalise.

Il y a aussi la transmission du modèle paternel. Le fait d’avoir été ou non témoin de violences ou d’humiliations infligées à sa mère. S’il a assisté, depuis le plus jeune âge, à l’exploitation silencieuse de ses sœurs. S’il a trouvé ce spectacle rassurant, ou douloureux. Ou les deux. Quels tabous et culpabilités pèsent sur sa conscience, vont forger ses représentations, orienter son rapport à la violence.

Une chose est sûre, beaucoup d’hommes se livrent à l’exercice fréquent d’évaluer la masculinité des autres. Le “nta machi rajel” est une injure courante, et le “ouallah nta rajel” un compliment suprême. Beaucoup cherchent à se positionner pour garder leur rojola indemne, à se projeter pour savoir ce qu’aurait fait un “vrai” homme dans telle situation, telle gestion de conflit ou de dilemme, afin de se construire un modèle viril acceptable.

Leur rapport aux femmes est ambivalent. L’homme (hétérosexuel) est à la fois perçu comme le protecteur et le prédateur. Quand j’étais jeune, mon père me “confiait” parfois à un ami masculin s’il était question de sortir tard le soir, afin de me protéger paradoxalement d’éventuelles agressions masculines. Il devait le voir, même brièvement, le saluer, et dans l’échange de regard et de quelques mots, lui céder son poste de protecteur, tout en sachant pertinemment que l’ennemi dont il faut me protéger, ce sont des hommes. Comment deviner en un clin d’œil si l’on a affaire au “protecteur” ou au “prédateur” ? Impossible. Mais l’ami en question comprenait à quel rôle il était assigné, et l’intérioriser peut suffire à ce qu’il endosse ce rôle.

Les hommes gèrent cette ambivalence en nous classant. Femmes respectables sur la base de notre apparence ou de nos mœurs supposées, et femmes qu’ils peuvent se permettre d’agresser car elles ne seraient pas défendables. Provocatrices, pécheresses, ou les ayant repoussé trop avec trop d’arrogance selon eux. En face, nous, femmes, devons dépenser une énergie folle, lorsqu’on rencontre le chemin d’un homme dans l’espace public, à réfléchir à la façon de ne pas toucher “sa rojola” afin de ne pas s’exposer à ses représailles. On doit sourire, sans avoir l’air de tendre une perche. On doit humblement tenter de se sortir de cette zone de danger, comme eux s’amusent à évaluer, pendant tout ce jeu à sens unique, leur marge de manœuvre.

Et puis viendra le temps où il faut lier son destin. Là aussi, les situations sont diverses. Mariage de raison, d’amour, de résignation, de convenance, forcé… qui ne sont que le point de départ d’un univers privé où se posera un rapport d’exploitation. La femme doit produire des services privés gratuits au sein du foyer, entretien, écoute, soins, disponibilité affective et sexuelle, production d’enfants, et l’homme va, depuis son statut de patron informel de cette main d’œuvre informelle, trouver cet état de fait justifié et mal supporter que la femme déroge à ces tâches, ou peut-être, dans une projection intime lui rappelant les souffrances qu’ont pu subir dans cette position sa mère ou ses sœurs, vouloir modifier le scénario.

Les institutions étatiques produisent de plus en plus de chiffres et d’analyses vagues sur les violences faites aux femmes, mais elles ne se lancent pas dans le chiffrage des hommes violents. S’il existe un #MeToo féminin des victimes, il n’existe pas un #MeToo masculin des coupables, d’hommes qui admettent avoir déjà harcelé, agressé, violé, exploité une ou plusieurs femmes, et qui sur la base de ce constat honnête, voudront construire collectivement un autre modèle de société. Espérons que cette plateforme y contribuera.

Sororalement,

fr_FRFrench